LA QUESTION DU COMBAT
The Issue of Combat
Graduation Research
2006 – 2009
Samedi 26 avril 2008
detail. livre d'artiste
Luttes Turques
Luttes Turques, livre artisanal, 2007
Octobre 2007.
“NOT ONLY
POSSIBLE BUT ALSO NECESSARY OPTIMISM IN THE AGE OF GLOBAL WAR”.
Ce slogan revient sans cesse dans les rues d’Istanbul.
Affiché sur les
murs, les poteaux, un peu partout ;
suspendu au-dessus des têtes qui vont et viennent en s’agitant et criant.
Ce slogan,
c’est le titre de la 10e Biennale Internationale d’Istanbul. Et ces
gens qui passent sont des Turcs qui encouragent leur gouvernement à la lutte
armée pour éliminer le PKK, le parti séparatiste kurde.
Luttes Turques, livre artisanal, 2007
En marchant dans les rues
de cette ville, ce contraste m’a paru saisissant. J’ai tenté de comprendre ces
deux réalités contradictoires ensemble. Je me suis rappelée les images d’un
film réalisé par Maurice Pialat appelé Pehlivan
et qui décrit le sport national turc :
la Lutte à l’Huile. A partir de ces éléments, j’ai réalisé un livre que j’ai
nommé « Luttes Turques ». C’est après avoir découvert le travail de
l’artiste Banu Cennetoglu à Istanbul pour promouvoir le Livre d’Artiste Turc,
que j’ai voulu expérimenter moi-même ce moyen d’expression.
D’une part, je vois la
biennale où Hou Hanru, le commissaire, pose l’optimisme comme une nécessité
dans cette époque de guerre. Il présente le travail d’artistes qui seraient les
acteurs d’un combat pour la modernisation démocratique du monde. D’autre part, des
rues de Turquie réclament la guerre comme une nécessité pour résoudre les
problèmes, pour permettre l’optimisme. Des visions du monde s’opposent mais toutes
veulent réaliser un changement nécessaire.
Ces événements ont ramené
toutes les questions autour desquelles je construis ma recherche depuis
plusieurs mois. L’Homme cherche à vivre et s’épanouir dans un monde meilleur en
paix et en sécurité. Et il travaille pour réaliser le changement nécessaire.
Mais il semble que souvent, face à un projet de vie voulu par une partie,
s’oppose un autre projet voulu par une autre partie. Et pour que l’un puisse
exister, il doit s’imposer à l’autre. Ainsi, chaque fois, la confrontation,
l’opposition, le conflit, le combat s’imposent comme une inévitable issue.
Qu’est ce que le combat ? Comment prend-il forme ? Quand s’achève-t-il ?
Quel rôle joue-t-il dans le développement d’un individu, d’une partie ou d’un
groupe ? La question du combat est le fondement de ma recherche.
ARTS ET ARTS DU COMBAT
J’étudie de près les arts
martiaux et les sports de combat. Depuis 2007, je parcours les lieux
d’entraînement et de confrontation pour observer les différents mouvements, formes
et idées du combat. Je fais des croquis pendant les cours. Il y a un aspect de
rituel lors de la répétition des mouvements, pour arriver à atteindre une
certaine perfection. Je cherche à m’imprégner le plus possible du mouvement qui
se réalise devant moi. J’explore les possibilités du geste en dessin en
adéquation avec les gestes martiaux.
La vision du geste dans la
calligraphie m’a certainement influencé dans cette recherche. Le style et la
gestuelle du peintre Yan Pei Ming dans son travail du portrait m’ont incité à
travailler le dessin en grand format. Sur une grande surface, l’énergie doit
provenir de tout le corps pour produire le trait recherché. De même que dans
l’art du combat, on sollicite le corps dans sa globalité pour effectuer le
mouvement efficace. Le travail des auteurs de manga tels que Jiro Taniguchi et Takehiko
Inoué m’ont beaucoup appris en matière de représentation du combat en dessin.
« L’Homme peut
atteindre au perfectionnement de lui-même par l’approfondissement d’un art
traditionnel. Dans le Budo (ensemble des arts martiaux japonais), cet état est atteint par la maîtrise de
techniques orientées vers le combat à mort » [Kenji Tokitsu, La Voie du Karaté, ed. Seuil]. J’aimerai
explorer jusqu’où ces techniques de combat vont-ils influencer mon trait et ma technique
du dessin. L’exemple de Yves Klein, artiste plasticien et judoka, me semble
important quand aux possibilités de combinaison entre les arts martiaux et leur
philosophie d’une part, et les arts plastiques d’autre part.
Les arts martiaux sont une
méthode pour apprendre à se défendre et à vaincre un ou plusieurs adversaires.
Mais c’est également une voie pour arriver à la maîtrise de soi, à la
compréhension de soi et des choses à travers la confrontation à l’autre. C’est
un art qui conduit à l’épanouissement de l’être. Là encore, le combat apparaît
comme une nécessité pour que l’Homme se réalise. Je tente de comprendre comment
plus la technique exécutée est efficace, donc mortelle, plus les mouvements qui
se dessinent paraissent beaux, harmonieux et essentiels.
La lecture d’ouvrages
traitant des arts du combat a nourri ma recherche. Un ouvrage majeur est le Traité des Cinq Roues de Miyamoto
Musachi (ed. Albin Michel), un des plus grands samouraï japonais qui est arrivé
à la maîtrise parfaite de l’escrime mais aussi de la peinture et de la calligraphie.
GUERRE ET TERRORISME
Je me suis intéressé aussi
à la question du terrorisme, une forme particulière de combat. C’est un combat
qui se fait clandestinement et par des armées non régulières. Ils agissent en
marge des codes et règles militaires et ont donc développé des méthodes, des
formes de combats différents, qui rappellent un peu les ninjas japonais.
Quantité de symboles et clichés se sont développés autour du terrorisme et des
terroristes. Une de leurs caractéristiques est le
camouflage. J’ai réalisé plusieurs expériences autour du voile qui recouvre leur
visage. Dans le contexte politique
actuel, la simple vision d’un visage voilé impose l’idée du terrorisme jusqu’à
effacer la possibilité d’imaginer l’humain et son histoire derrière cette barrière de tissus.
J’ai réalisé des portraits
de personnes visage voilé puis dévoilé en photographie et en peinture. Là encore,
il s’agit d’hommes confrontés à la nécessité de combattre. Mais là se pose
aussi la question de la place de l’individu et son rôle face à la volonté du
groupe dans le combat.
J’ai essayé également de
mettre en parallèle différentes situations de conflits en intervenant sur des
monuments. Ces personnages de pierre que l’on rencontre dans les lieux publics
sont comme des illustrations en trois dimensions des manuels d’histoire. Ils
semblent venir d’une autre dimension et n’ont plus de lien avec la réalité du
quotidien. Mais ces statues immortalisent des combattants qui ont défendu leur
patrie et leur idéaux et qui par la suite ont été consacrés héros de la nation.
En recouvrant leur visage d’un voile, je questionne leur véritable identité. Ce
visage camouflé inspire maintenant la peur parce qu’il est associé aux images
de guerre et de violence que véhiculent les médias. C’est le visage d’un
combattant et son quotidien, c’est la guerre et la violence. Héros pour les uns, combattant pour les autres,
terroriste pour d’autres encore. Qu’est ce qui dicte la différence?
Je me dois de citer ici le
travail de Rabih Mroué, Three Posters,
sur l’acte du martyr/kamikaze et sur la transformation de son image et de son
sens, au fur et à mesure qu’elle est divulguée réutilisée, réappropriée.
Le film Intervention Divine
de Elia Suleiman m’aura inspiré quand aux différents tons possibles pour aborder
certaines questions d’actualités. Il semble qu’il est parfois nécessaire de
rire de certaines réalités difficiles pour ne pas s’y noyer et pour arriver à
les comprendre.
En effectuant un stage aux
cotés de Mario Rizzi sur son projet « neighbours », j’ai pu
comprendre aussi comment il était possible de se positionner en tant qu’artiste
par rapport à des évènements de l’histoire contemporaine.